Certification du cacao et lutte contre la déforestation. État des lieux sur la déforestation importée et les schémas de certification de l’objectif zéro-déforestation dans la filière cacao

2021Aurélie Carimentrand

CST Forêt (chantier certification). 2021

La stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée de la France (SNDI) inclut un objectif d’élévation progressive du niveau d’exigence des mécanismes de certification des importations agricoles à risque pour les forêts. Dans ce contexte, ce rapport vise à offrir de la lisibilité sur la qualité des schémas de certification existants au regard de l’intégration de l’objectif zéro-déforestation tel que défini dans la SNDI. Pour ce faire, il dresse le panorama de la filière cacao et de ses normes de durabilité puis analyse et compare leur contenu et les mécanismes de certification qui leur sont associés en les resituant dans la dynamique de déforestation importée liée aux importations françaises de produits chocolatés. Il s’intéresse enfin aux enjeux liés à l’amélioration de leur effectivité sur le terrain. Entre 5 et 6,5 millions de petits producteurs cultivent du cacao sur près de 12 millions d’hectares dans le monde. Le continent africain fournit près de 70% de la production mondiale de cacao, estimée à plus de 5,2 millions de tonnes de fèves. La filière industrielle du cacao est contrôlée par de puissants négociants, broyeurs et chocolatiers. L’accroissement de la production mondiale de cacao continue de reposer sur une double dynamique de déforestation et de dégradations des forêts tropicales : déforestation pour le cas de la monoculture du cacao et dégradations pour le cas de l’installation de cacaoyères en systèmes agroforestiers plus ou moins complexes. Le cas de la Côte d’Ivoire est emblématique des dégâts causés par l’expansion de la monoculture de plein soleil basée sur l’exploitation de la forêt. Régulièrement mis en cause, les chocolatiers et les broyeurs ont développé des programmes de durabilité et ont adhéré à l’Initiative Cacao et Forêts, qui vise à contribuer à mettre fin à la déforestation et à la dégradation des forêts dans la chaîne d’approvisionnement mondial du cacao. En parallèle, plus d’un tiers de la superficie mondiale de cacao est certifiée via les labels Rainforest Alliance, Utz et Fairtrade/Max Havelaar. Mais cette production certifiée n’est que partiellement valorisée comme telle en aval des filières, la demande de cacao certifié étant inférieure à l’offre proposée par les producteurs. Le marché français du chocolat pèse 4 milliards d’euros. Le secteur français de la chocolaterie est mixte, composé à la fois de grandes entreprises appartenant à des multinationales du négoce et de l’agroalimentaire fortement intégrées au niveau européen et d’un important tissu de PME. Près de la moitié des fèves et de la pâte de cacao importées en France proviennent de Côte d’Ivoire. L’offre de produits arborant la fameuse grenouille (i.e. le logo du label Rainforest Alliance qui intègre à présent le label Utz) est en termes de volume le plus diffusé, via l’engagement de grandes marques de l’industrie chocolatière. Tandis que le label Fairtrade/Max Havelaar, plus connu des consommateurs français, reste l’apanage de PME engagées. On observe également la croissance du marché de produits certifiés selon d’autres labels (agriculture biologique, Fair for life, SPP…) qui soit n’intègrent pas encore le contrôle de la déforestation, soit restent pour le moment confidentiels. Il faut enfin signaler les risques de confusion entre les logos de ces labels, associés à des mécanismes de certification, et les logos des programmes de durabilité des grandes entreprises du secteur. La publication en 2019 de la norme ISO 34101 « cacao durable et traçable » et l’annonce d’une norme africaine ARS pour 2021 complexifient encore plus ce paysage déjà composite de la certification de la durabilité des produits chocolatés. Dans ce contexte, ce rapport montre au regard d’une analyse détaillée des critères des principaux référentiels (Rainforest Alliance/Utz, Fairtrade/Max Havelaar et ISO 34101) qu’ils intègrent, à différents degrés, les principales exigences sociales et environnementales de la SNDI (nonconversion des forêts, prise en compte de la dégradation forestière, usage de l’approche HCV, respect du droit du travail, accès des petits producteurs à la certification…). Il reste tout de même une marge de progression vers une intégration complète des exigences de la SNDI, surtout en ce qui concerne la norme ISO 34101 « cacao durable et traçable », qui apparait comme moins-disant, notamment sur le critère clé de la non-conversion. A l’inverse, la norme 2020 pour l’agriculture durable de Rainforest Alliance se distingue par son principe de non-conversion qui s’applique pour tous les écosystèmes naturels avec 2014 comme date butoir. Pour ce qui est de la traçabilité, l’autorisation du régime du bilan massique par ces trois mécanismes de certification est problématique au regard des objectifs de la SNDI. Compte-tenu des contraintes liées à l’organisation logistique actuelle de la filière (dispersion des producteurs d’une part, et développement du transport en vrac pour l’approvisionnement de masse des usines de broyage du cacao d’autre part), il apparaît toutefois difficile de faire accepter aux acteurs de la filière les coûts et contraintes du passage au régime de la ségrégation, et plus encore, celui de l’identité préservée. Des solutions doivent pourtant être envisagées face à cet enjeu, à commencer par l’amélioration de la traçabilité au niveau local mais aussi par l’engagement des acheteurs pour l’augmentation de leurs achats en cacao certifié. Finalement, en ce qui concerne l’effectivité de ces schémas de certification, ce rapport souligne trois grands enjeux : - Le premier enjeu concerne justement la traçabilité du cacao jusqu’à la parcelle. Force est de constater que des producteurs, même certifiés Rainforest Alliance, Utz ou Fairtrade dans le cadre de la certification de groupe, ont continué de dégrader les forêts, voire pire, de défricher de nouvelles parcelles. En Côte d’Ivoire et au Ghana en particulier, des données récentes montrent en effet que la déforestation continue, voire s’accélère, y compris dans les zones certifiées. L’effectivité du suivi de la déforestation évitée sur le terrain y apparaît trop aléatoire. Les limites opérationnelles et les défaillances des systèmes de contrôle des critères de non conversion ainsi que les problèmes de « fuites » sont difficiles à contrecarrer et représentent de sérieux défis. Elles font actuellement l’objet d’une attention particulière au sein des ONG Rainforest Alliance et Fairtrade, dont la crédibilité est engagée. L’approche actuelle, basée sur les procédures de la certification de groupe au moyen de systèmes de contrôle internes couplés à des audits externes sur un échantillon de producteurs tirés au sort ne paraît pas suffisante. Des efforts sont déjà en cours pour cibler les audits externes sur les zones à risques, développer le référencement GPS des exploitations agricoles et recourir à la télédétection des dynamiques de déforestation. Cette dernière technique présente toutefois de sérieuses limites dans le cas du cacao. Ce contrôle accru ne paraît par ailleurs envisageable que couplé à une rémunération du cacao certifié plus incitative au niveau des planteurs, afin de garantir leur engagement dans la durée vis-à-vis de ces schémas de certification. - Dans cette perspective, le second enjeu a trait aux incitations économiques proenvironnementales au niveau des producteurs. Les surcoûts liés à l’adoption des pratiques requises pour la certification sont pour l’instant insuffisamment compensés par les de certification, et ce dans un contexte de pauvreté généralisée, surtout en Afrique de l’Ouest. Il s’agit donc d’augmenter ces primes et/ou d’instaurer des mécanismes alternatifs de rémunération des services de protection des écosystèmes à haute valeur écologique et à haut stock de carbone rendus par les producteurs. - Enfin, le dernier enjeu consiste en la mise en oeuvre d’une approche juridictionnelle de la certification de l’objectif zéro-déforestation dans les zones à risque. Ce type d’approche considère le territoire administratif comme l’unité certifiée et requiert l’engagement des autorités locales. Cette approche pourrait constituer une réponse aux conséquences négatives de l’exclusion des producteurs de cacao dans les zones à risques, qui les font sortir des radars de la certification dans le cadre actuel de l’approche par la certification de groupes. Elle doit pour cela offrir des primes conséquentes pour gagner l’adhésion des producteurs et être couplée avec des investissements d’intérêt collectif au niveau du territoire.

Aurélie Carimentrand. Certification du cacao et lutte contre la déforestation. État des lieux sur la déforestation importée et les schémas de certification de l’objectif zéro-déforestation dans la filière cacao. CST Forêt (chantier certification). 2021. ⟨hal-04891685⟩ (lien externe)

Citations

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Carimentrand, A. (2021). Certification du cacao et lutte contre la déforestation. État des lieux sur la déforestation importée et les schémas de certification de l’objectif zéro-déforestation dans la filière cacao. https://hal.science/hal-04891685v1

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Carimentrand, Aurélie. Certification Du Cacao Et Lutte Contre La Déforestation. État Des Lieux Sur La Déforestation Importée Et Les Schémas De Certification De l’Objectif Zéro-Déforestation Dans La Filière Cacao. Feb. 2021, https://hal.science/hal-04891685v1.

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Carimentrand, Aurélie. 2021. “Certification Du Cacao Et Lutte Contre La Déforestation. État Des Lieux Sur La Déforestation Importée Et Les Schémas De Certification De l’Objectif Zéro-Déforestation Dans La Filière Cacao.” https://hal.science/hal-04891685v1.

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Carimentrand, A. (2021) “Certification du cacao et lutte contre la déforestation. État des lieux sur la déforestation importée et les schémas de certification de l’objectif zéro-déforestation dans la filière cacao.” Available at: https://hal.science/hal-04891685v1.

ISO 690

CARIMENTRAND, Aurélie, 2021. Certification du cacao et lutte contre la déforestation. État des lieux sur la déforestation importée et les schémas de certification de l’objectif zéro-déforestation dans la filière cacao [en ligne]. February 2021. Disponible à l'adresse : https://hal.science/hal-04891685v1

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